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  • Photo du rédacteurEmma Fourreau

Les Golden Globes : les dénonciations passées sous silence

Dernière mise à jour : 15 janv. 2020

Le moment le plus attendu des Golden Globes est le défilé sur le tapis rouge. Le moment le plus effacé des Golden Globes est le discours d’ouverture. Si l’un représente le monde glamour d’Hollywood, l’autre dénonce les dessous moins charmants de cet univers impitoyable. Ce n’est donc pas surprenant que les médias consacrent leurs articles aux belles robes plutôt qu'au harcèlement sexuel dans l’industrie du cinéma.


Le traitement des médias du discours d’ouverture des Golden Globes n’est pas juste insuffisant. Il est inexistant. Ce discours est souvent relégué au second, voire au troisième plan. Cela met en évidence un paradoxe : ceux qui critiquent le fait que les célébrités ne dénoncent pas les scandales sont ceux qui censurent et minimisent leurs propos lorsqu’ils le font. La façon dont les journaux abordent le discours d’ouverture de la cérémonie des Golden Globes est l’exemple le plus marquant de ce paradoxe.


Des dénonciations claires

Tous les discours d’ouverture des Golden Globes sont politiques. C’est l’occasion idéale pour les présentateurs de revenir sur tout ce qu’il s’est passé l’année précédente dans l’univers parfait qu’est Hollywood. Tous les discours sont donc influencés par un contexte spécifique. Les éditions de 2015 et de 2018 n’échappent pas à la règle.

La cérémonie de 2015 se passe quelques jours après l’inculpation de Bill Cosby pour agression sexuelle. Les présentatrices Tina Fey et Amy Poehler n’ont donc pas hésitées à faire la remarque suivante : « Dans "Into The Woods", Cendrillon s’enfuie loin de son prince, Raiponce est jetée d’une tour pour son prince et la belle au bois dormant pensait qu’elle allait juste prendre un café avec Bill Cosby ». C’est une référence à une affaire de 1969 où Bill Cosby a drogué deux femmes dans un café. Une telle remarque sur un sujet aussi sensible et  récent aurait dû faire réagir tous les journaux. Or, les rares qui ont osé effleurer la surface de ce sujet actuel et important qualifient cette dénonciation de « blague hilarante ».


Seth Meyers sur scène pour son discours aux Golden Globes en 2018. Photo NBC


Le même phénomène s’est produit à nouveau en 2018. Le présentateur Seth Meyers a commencé son discours en ironisant : « Nous sommes en 2018. La marijuana est enfin légale et le harcèlement sexuel ne l’est enfin plus. » Cette remarque sarcastique sur le temps que les États-Unis ont mis à interdire légalement le harcèlement sexuel a été reprise par quelques articles en tant que trait d’humour. Aucun journal n’a analysé plus en profondeur cette phrase pourtant lourde de sens. Toutes les remarques qui ont pour but de dénoncer la situation actuelle et les dessous d’Hollywood sont transformées en blagues. L’effet dévastateur que pourraient avoir ces dénonciations est amenuisé par le traitement qu’en font les médias.


Des analyses inexistantes

Sur les milliers d’articles ayant pour sujet les Golden Globes, les ¾ parlent des tenues des stars sur le tapis rouge. Ceux qui restent listent les gagnants des différentes catégories. Enfin, trois articles parlent du discours d’ouverture autrement qu’en citant les meilleurs blagues du présentateur. Ce n’est qu’à peine une exagération. Le Figaro, Le Point, Premiere, Télérama, Vanity Fair ou encore le HuffPost. Tous ces médias qui auraient pu se pencher sur la question du discours d’ouverture ne l’ont fait qu’à moitié. Le sujet est souvent résumé en quelques lignes comme « un condensé de plaisanteries bien enchaînées », comme l’écrit Phalène De La Valette le 12 janvier 2015, dans un article du Point.


Tina Fey et Amy Poehler lors de leur discours aux Golden Globes en 2015. Photo NBC


En règle générale, les articles ne consacrent pas beaucoup d'attention au côté sérieux du discours d’ouverture. Un article de Libération du 8 janvier 2018, intitulé « Ras-le-bol féminin et dénonciation de l’injustice raciale au menu des Golden Globes », consacre par exemple toute la première partie de l’article aux tenues des célébrités sur le tapis rouge. La partie sur le discours d’ouverture ne fait que quelques lignes. D’une année à l’autre, les articles défilent et se ressemblent. En 2015, Sophie Riche décrivait sur le site Madmoizelle le discours de Tina Fey et Amy Poehler comme « débordant de féminisme ». Mais en parallèle, l’article est un palmarès de leurs meilleures blagues. Toutes les remarques qui s’apparentent à du féminisme sont ignorées. Il n’y a jamais d’analyse poussée.


En 2018, un an après le mouvement #MeToo, les structures des articles n’ont pas changé. Quelques phrases d’introduction sur les enjeux du discours, une sélection des meilleures phrases de Seth Meyers, puis une phrase de conclusion pour dire que le présentateur a réussi à surmonter cette épreuve avec brio. Entre ces deux articles, il y a trois ans de différence. De nombreux événements se sont produits et ont remis beaucoup de choses en question à Hollywood. Pourtant, ces articles sont tellement similaires que c’est comme si des milliers de femmes n’avaient pas dénoncé leurs agresseurs entre temps.


L’impact #MeToo

Les journaux parlent uniquement de manière succincte du harcèlement sexuel abordé lors des discours d’ouverture. Dans la grande majorité des cas, les articles sont composés de deux choses : des citations et un résumé des réactions. Ce sont plus des retranscriptions de discours que de réels articles. C'est une manière détournée d’évoquer les sujets sensibles dont parlent les présentateurs sans s’impliquer réellement. Ce n’est pas de la paresse ou du manque de professionnalisme, mais un moyen de ne pas prendre de risque avec le public. Il est moins risqué de laisser le lecteur se faire son propre avis sur les citations plutôt que de lui expliquer en quoi telle ou telle remarque est importante.

« Ce sont plus des retranscriptions de discours que de réels articles »

Après le mouvement #MeToo, les choses ont changées. Les journaux écrivent de plus en plus sur l’aspect politique des Golden Globes, même si ceux qui ont une analyse poussée sur le sujet restent très minoritaires. Avec tous les témoignages d’agressions et de harcèlement depuis 2017, ils ne peuvent plus prétendre que cela ne se produit jamais. En 2018, lors de la première cérémonie après la création du mouvement, de nombreux articles ont parlé des remarques faites par Seth Meyers sur le harcèlement sexuel et de l’impact du mouvement sur les sociétés.


Toutefois, les journaux ont trouvé un nouveau moyen de parler de ces sujets sans les mentionner officiellement. Lors de cette soirée, de nombreuses actrices et de nombreux acteurs se sont habillés en noir pour dénoncer les violences sexuelles mises en avant avec le mouvement #MeToo. Tout naturellement, les journaux ont donc utilisé ce fait pour aborder le thème du harcèlement en ne tenant pas compte du côté politique. L’express a écrit cinq articles sur les Golden Globes 2018 : trois sur les robes et deux sur Oprah.


L'équipe de la série Big Little Lies sur scène, toute de noir vêtue. Photo NBC


Cela montre bien que les journaux ne sont pas toujours des lanceurs d’alertes. Parfois, ils se contentent de suivre le mouvement avec plus ou moins de retard. Dans ce cas-là, les médias ont un mouvement international de retard. Si les journaux étaient La Gazette du Sorcier, les remarques sur le harcèlement sexuel lors du discours d’ouverture seraient le nom de Voldemort : il est évoqué brièvement mais jamais, au grand jamais, son nom ne doit être prononcé.


 

Les dates clés du mouvement #MeToo


2007 Tarana Burke lance une campagne de soutien aux victimes d’agressions sexuelles.


5 octobre 2017 Le New York Times publie des témoignages de femmes accusant Harvey Weinstein de les avoir abusées.


15 octobre 2017 Alyssa Milano lance le #MeToo sur Twitter et invite les personnes victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle à en parler.


6 décembre 2017 Le Times nomme les « silence breakers » en tant que « Person of the year ».


1er janvier 2018 L’association Time’s Up est créée pour lutter contre le harcèlement et les inégalités au travail.


7 janvier 2018 Les célébrités présentent aux Golden Globes s’habillent en noir pour montrer leur soutien au mouvement.


25 mai 2018 Harvey Weinstein est inculpé pour viol et agression sexuelle.


25 septembre 2018 L'acteur Bill Cosby est condamné à dix ans de prison pour agression sexuelle. C'est la première grande condamnation symbolique de l'ère #MeToo.

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