top of page
  • Photo du rédacteurEmma Fourreau

Réponses du gouvernement aux manifestations étudiantes : « c'est un sparadrap sur une plaie béante »

Depuis maintenant un mois, des étudiants manifestent dans la rue pour dénoncer la précarité étudiante. Du dégel des bourses à l'augmentation des APL, de nombreuses revendications sont ressorties de ces mobilisations. Pour se faire entendre par le gouvernement et être pris au sérieux, ces étudiants sont prêts à tout.


Le 8 novembre, Anas K., un étudiant à l'université Lyon 2, s'est immolé par le feu sur le parvis d'un bâtiment universitaire après avoir perdu sa bourse. Avec ce geste de colère, ce geste désespéré, il comptait alerter l'opinion publique de la situation précaire de nombreux étudiants. Dans un post Facebook juste avant son passage à l'acte, il explique son geste : « Cette année, [...] je n'avais pas de bourse. Mais même quand j'en avais, 450 euros par mois, est-ce suffisant pour vivre ? »


Aussi violente et traumatisante que puissante et symbolique, la tentative de suicide d'Anas a impacté de nombreux étudiants dans la même situation. D'autant plus que le message derrière ce geste était sans équivoque quant à ses motivations sociales et politiques. Des centaines, puis des milliers d'étudiants, d'universitaires et de syndicats ont réagi dès le mardi 12 novembre avec les toutes premières manifestations. En bloquant des universités ou simplement en marchant dans la rue, les manifestants n'avaient qu'un objectif : se faire entendre. À Lyon, scandant le slogan « la précarité tue », le cortège s'est regroupé sur la place où s'est immolé Anas pour mettre en avant les conséquences tragiques que peut avoir la précarité étudiante. C'est à cet endroit que tout à commencé, c'est à cet endroit que le gouvernement devra leur répondre.


Aujourd'hui, brûlé à 90% et toujours en coma artificiel, la situation du jeune étudiant se stabilise peu à peu. Contrairement aux mobilisations étudiantes, qui ne cessent de monter en puissance.


Dans la rue, les jeunes font valoir leurs revendications. Quelques semaines après le début du mouvement, les étudiants lyonnais restent motivés, comme ici le 5 décembre. Photo Tanguy Voiset


Des étudiants révoltés

À Paris, Bordeaux, Lyon ou encore Lille, des étudiants des quatre coins de la France tentent d'engager un dialogue avec le gouvernement pour améliorer leurs conditions d'étude. Depuis dix ans, le coût de la vie étudiante augmente de manière constante, plongeant un peu plus les étudiants dans la précarité à chaque rentrée. À celle de 2019-2020, le coût de la vie étudiante a grimpé de 2,83%, une augmentation deux fois supérieure à celle de l'inflation. Toutefois, aucune mesure politique n'a été mise en place pour que ces derniers puissent vivre de manière correcte, sans être en difficulté à la fin du mois. Voici la principale critique faite par les manifestants à l'égard du gouvernement : son manque de réaction.


Des milliers d'étudiants ont donc décidé de les faire réagir grâce à un moyen qui a prouvé son efficacité ces derniers mois : les manifestations. À la rentrée 2019, 73,8% des étudiants ne bénéficiaient d'aucune bourse, d'aucune aide financière de la part de l'État. Parmi les 2,7 millions d'étudiants français, 20% d'entre eux se trouvent actuellement en situation de précarité d'après la CFDT (Confédération française démocratique du travail). C'est donc une situation plus courante qu'il n'y paraît, et de nombreux étudiants se sentent concernés. Un sentiment d'unité est majoritairement ressorti de ces événements et les étudiants expriment leur indignation au cours de ces mobilisations.


Infographie Emma Fourreau


« J'ai décidé de participer aux manifestations étudiantes parce qu'elles portent sur un sujet qui nous touchent tous, de près ou de loin, personnellement ou par le biais de personnes que l'on connaît lors de nos études : celui de la précarité étudiante », affirme Luciano, étudiant en anthropologie à l'Université de Lille. Ainsi, pour ce jeune militant au sein du syndicat Solidaires Étudiant.e.s, « il faut une réforme complète et extensive du système de bourses qui passerait par une revalorisation importante et une extension, ainsi que du système de logement étudiant, où les places manquent et les conditions de vie sont absolument inacceptables à notre époque ».


Pour ces étudiants engagés, le gouvernement ne fait rien pour les aider à réussir dans leurs études. 46% d'entre eux doivent travailler pendant leur cursus universitaire. Ce travail est une difficulté supplémentaire pour la réussite en études. En effet, un étudiant qui travaille plus de 15h par semaine à seulement 33% de chances de réussir ses examens, c'est-à-dire moins de la moitié qu'un étudiant qui ne travaille pas.


Ce sentiment d'unité n'est toutefois pas partagé par tous les étudiants. Certains d'entre eux ne sont pas en situation de précarité et ne se sentent pas concernés par le combat mené actuellement. « Je ne comprends pas ce qu'ils cherchent en manifestant, ça ne va rien arranger à leurs problèmes, déplore ainsi Pauline, étudiante en DUT Génie chimique à Paris. Ils peuvent s'en sortir en essayant de gagner de l'argent à côté pour leurs études ou en demandant des aides à l'État ou des bourses. Parfois, ce n'est pas de leur faute s'ils n'ont pas d'argent donc ils ne devraient pas se restreindre dans leurs études pour ça. »


Des mesures annonciatrices de paix ?

À la suite de cet événement tragique et des ces manifestations, le gouvernement a réagi afin d’apaiser les tensions grandissantes. Le 14 novembre, Gabriel Attal, le secrétaire d’État en charge de la jeunesse, a reçu les organisations étudiantes pour entendre leurs revendications. Il a notamment rappelé qu’il existait déjà des mesures pour améliorer les conditions de vie des étudiants, comme par exemple la suppression de la cotisation de sécurité sociale.


À son retour de voyage d’affaire, Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, a annoncé le 19 novembre la mise en place d’une ligne téléphonique d’urgence à destination des étudiants, pour les tenir informer de toutes les aides disponibles dont ils peuvent disposer. Une trêve hivernale concernant les logements du Crous et les restos U sera également mise en place d'ici 2020.


Ce numéro est une avancée, car comme l’explique Philippe Paquet, gestionnaire expert logement et relations partenaires à la CAF, « les étudiants peuvent être au courant des aides grâce aux médias mais encore faut-il qu’ils s’en saisissent. Beaucoup comptent sur les parents, très peu sont vraiment autonomes. Les aides sont là, mais les démarches sont parfois dissuasives, et pas toujours accessibles facilement ». Neuf jours après les annonces de la ministre, le Cnous (Centre national des œuvres universitaires et scolaires) affirmait qu’en 2020 les loyers des résidences universitaires seront gelés.


Ces nouvelles mesures s’ajoutent à des annonces antérieures, comme la refonte des aides sociales ou encore le plan santé pour les étudiants, qui bénéficiera d’une hausse de budget. Cependant les réponses apportées sont considérées comme insuffisantes par la majorité des étudiants et les syndicats. Ces derniers estiment que le gouvernement ne fait que se répéter et ne propose rien dans l’immédiat.


Ces mesures ne sont pas satisfaisantes, et les étudiants le font bien savoir lors de la manifestation du 5 décembre à Lyon. Photo Tanguy Voiset

Une réponse jugée insuffisante

Malgré ces mesures, le calme ne retombe pas chez les étudiants et les organisations. Des syndicats comme Unef, Fage ou encore Solidarité Étudiant.e.s - le syndicat auquel appartient Anas K. - réclament de véritables mesures pouvant changer les conditions de vie des étudiants français dès maintenant. Pour Luciano, ces annonces sont « l’équivalent d’un sparadrap sur une plaie béante ». Selon lui, les différentes mesures ne serviront qu’à une minorité, comme la valorisation d’1,1% de la bourse sur critères sociaux qui « ne sert à rien, étant donné l’inflation et la hausse du coût de la vie ».


Des vrais problèmes sont soulevés, car ici le gouvernement s'adresse uniquement des étudiants qui ont le droit aux bourses, « mais il y a toute une catégorie de personnes qui [...] appartiennent théoriquement à cette "classe moyenne", mais dont les parents n'ont pas les moyens de les aider et qui se retrouvent dans des situations complexes si elles veulent poursuivre leurs études loin du logement familial ».


Infographie Emma Fourreau


Les chiffres concernant la précarité sont, d'après les syndicats concernés, bien éloignés de la réalité. Les analyses de l’OVE (Observatoire de la vie étudiante) montrent que les ressources moyennes d’un étudiant seraient d’environ 887 euros par mois. Or, l’échelon le plus élevé pour les bourses sur critères sociaux est d’environ 500 euros par mois. Il y a certes d’autres revenus, comme les APL et les jobs étudiants, mais ils ne sont pas accessibles par tous les étudiants.


Selon le Cnous, un logement étudiant de 18 m² tout équipé reviendrait à moins de 200 euros par mois, une fois les aides déduites. Ces chiffres, Dorian, étudiant en licence d'Arts, Culture et Patrimoine à l’université de Clermont-Ferrand, les contredit. En effet, cet étudiant vit dans un logement du Crous de 14 m² et paye 284 euros de loyer chaque mois. S'il ne possède pas les APL, il sait grâce à des simulations que ces aides pourraient faire baisser son loyer à environ 150 euros par mois. Pour beaucoup d’étudiants, les loyers pour des logements modestes restent quand même assez élevés et peuvent représenter jusqu'à 69% de leur budget mensuel. Il y a donc un réel écart entre ces chiffres et la réalité du quotidien des étudiants français.


Un mouvement qui a de l'avenir ?

Concernant ces mesures, Luciano affirme qu'elles « ne sont pas suffisantes. Le gouvernement n'a pas pris en compte l'amplitude de la précarité étudiante et ce ne sont pas ces mesurettes qui vont régler le problème. » Et les étudiants français le font bien savoir, puisque, pour beaucoup, les manifestations et les mobilisations vont continuer jusqu'à ce que le gouvernement propose des réponses satisfaisantes.


« Ce ne sont pas ces mesurettes qui vont régler le problème »

« Du fait de la situation sociale complexe, personne ne peut dire ce qui fonctionnera ou pas. Ce qui est sûr, c'est que si le gouvernement ne réagit pas aux attentes légitimes des étudiants [...], ça va étendre le sentiment de colère et de désespoir des personnes concernées », affirme Luciano. Les prochaines manifestations vont donc être cruciales pour le mouvement. Elles détermineront si les étudiants vont être écoutés ou si, comme pour les gilets jaunes, le mouvement va s'essouffler avec le temps.


Écrit avec Léa Gallardo San Vicente.

20 vues0 commentaire
bottom of page